L’appel du métier : devenir productrice de lait à 53 ans

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En 2008, Sylvie Larochelle a pris la décision de quitter son emploi pour apprendre le métier de productrice laitière. Aujourd’hui, elle s’occupe d’un troupeau de vaches qu’elle chouchoute comme ses propres enfants. Et elle compte bien réaliser son rêve d’avoir un jour une ferme où elles pourront brouter librement.

Sylvie Larochelle épluche une banane sous le regard attentif de ses vaches. Une belle jersey étire le cou pour n’en faire qu’une seule bouchée. « Elles capotent sur les bananes! », lance la productrice de lait de 56 ans. Cette découverte, elle l’a faite à ses dépens alors qu’elle prenait une collation à l’étable. Un seul moment d’inattention a suffi pour que l’une de ses vaches s’empare de la banane qu’elle mangeait. Depuis, elle fait des provisions de ce fruit exotique pour gâter ses « filles », comme elle les appelle. « C’est juste des bonnes choses! », fait-elle valoir.

Sylvie adore chouchouter ses filles. Lorsqu’elle arrive à l’étable, aux aurores, elle ne prend même pas le temps de boire son café et va directement voir ses vaches. « Môman est arrivée! », lance-t-elle, en distribuant des caresses et des bisous aux unes et aux autres. « Je vous le dis : je suis tellement moumoune avec mes filles! Je les aime toutes! »

Ses filles, c’est 31 vaches : des suisses brunes, des jerseys et une seule holstein qui se prénomme Cricri. « Elle va avoir un bébé d’ici la fin de la semaine », précise-t-elle. Fait cocasse : les suisses brunes sont de tempérament plutôt cool et ne sont pas trop nerveuses. Ça tombe bien puisque Sylvie aime écouter de la musique forte. « Une vache, c’est comme un chien. C’est intelligent, c’est affectueux. C’est comme si j’avais 31 chiens, s’exclame-t-elle. Pour moi, c’est une vraie passion! »

Retour à la terre

Cette passion, Sylvie l’a découverte sur le tard. Pourtant, tout la prédestinait à devenir productrice. Lorsqu’elle était petite, sa famille possédait une fermette à Pike River, sur le chemin qui porte le nom de Larochelle, non loin de la terre que son grand-père, et son père avant lui, avaient cultivée. « On avait des vaches, des cochons, des lapins et des poules, se rappelle-t-elle. Je suis une fille manuelle et j’adore les animaux! » Une fois adulte, Sylvie a décroché un emploi dans la même entreprise que celle où travaillaient ses sœurs. Elle y a fait carrière pendant 25 ans, d’abord en comptabilité, puis en sécurité informatique, avant que l’appel de la ferme soit trop fort. En 2008, elle quitte son poste avec le désir d’apprendre le métier de productrice de lait. Elle avait 42 ans.

Dans les années qui ont suivi, Sylvie a cumulé les emplois pour différents producteurs, en espérant trouver une ferme où elle pourrait élever son propre troupeau. « J’ai appris sur le tas. Je n’avais aucune formation. Lorsque les vétérinaires venaient, je leur posais des questions », raconte-t-elle.

À plusieurs reprises, elle s’est butée aux préjugés des producteurs qui doutaient qu’une femme de son âge puisse diriger une ferme à elle seule. Elle était sur le point de renoncer à son rêve, lorsque son téléphone a sonné : un producteur de lait lui offrait de louer son exploitation à Notre-Dame-de-Stanbridge, un petit village situé à quelques kilomètres à peine de la terre de ses ancêtres. « Il me proposait un quota de seulement 10 kilos de lait par jour, ce qui n’est pas beaucoup, mais si je refusais, j’allais le regretter toute ma vie. J’ai dit : “J’embarque!” »

C’était il y a trois ans. Depuis, Sylvie a fait ses preuves. Elle a obtenu une distinction de Lait’xcellent pour la qualité de son lait, et l’organisme proAction lui a donné la note de 100 % pour le bien-être de ses vaches. Elle dispose maintenant d’un quota laitier de 14,77 kilos de lait, ce qui ne lui permet toutefois pas de couvrir les dépenses de la ferme. Pour balancer ses livres, l’ancienne comptable est forcée d’obtenir des contrats de paysagement ou de déneigement entre deux traites. De son propre aveu, la conciliation travail-vaches n’est pas toujours facile. « L’an passé, j’ai eu sept vêlages en deux semaines et demie », illustre celle qui n’a pas pris de vacances depuis trois ans. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à foncer. « Je suis Bélier ascendant Taureau! », plaisante-t-elle.

Jamais sans mes filles

Sylvie est interrompue par un meuglement. « Oui, fille! », répond-elle aussitôt. Ses vaches, c’est maintenant sa famille. Elle reçoit parfois la visite de son voisin P-A Ouimet qui, à 80 ans passés, vient lui raconter l’époque où il était lui-même producteur laitier. Le reste du temps, elle est seule. Ce qui est le lot de plusieurs producteurs. Sylvie a d’ailleurs suivi la formation Agir en sentinelle pour la prévention du suicide, ce qui lui a donné les outils nécessaires pour pouvoir prêter une oreille attentive à ses collègues en détresse. Elle fait aussi la tournée des écoles primaires en tant qu’ambassadrice laitière des Producteurs de lait du Québec et espère éveiller ainsi quelques vocations.

Son rêve, elle l’a réalisé en partie. Il ne lui reste plus qu’à trouver le moyen d’augmenter son quota pour pouvoir vivre entièrement de l’agriculture. Pour y arriver, elle est prête à déménager ses filles dans une région ou une autre du Québec, et même du Canada. Elle imagine s’approprier une terre suffisamment grande pour avoir sa « petite maison dans la prairie », une étable à stabulation libre « qui permettrait aux filles de brouter dans le pacage et de rentrer quand elles le veulent ». Elle pourrait élever des poulets et, pourquoi pas, faire pousser quelques légumes. « Et la bonne femme va être heureuse pour le reste de sa vie, ricane-t-elle. J’ai toujours dit que j’allais mourir entre deux vaches. Si j’ai la santé, je suis prête à devenir la doyenne des producteurs laitiers! » Pour Sylvie, peu importe où sa passion la mène, une chose est certaine : « Mes filles me suivent! »

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