Projet Agriclimat : des outils pour faire face aux changements climatiques

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Partout à travers le Québec, des entreprises agricoles cherchent des solutions pour diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) grâce au projet Agriclimat. Voici comment la ferme Maltais, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, est un modèle à suivre pour lutter contre les changements climatiques. La clé de son succès : le bien-être des vaches.

Dans la lumineuse étable des Maltais, un groupe de vaches attend son tour pour entrer dans la salle de traite. L’une d’elles s’arrête devant une brosse rotative pour profiter d’un petit massage. Avec une moyenne quotidienne de 42 kilos de lait, ces vaches sont les plus productives de la ferme.

Depuis que les frangins, Olivier et Pascale, dirigent la ferme avec leur père Camil et leur oncle Léon, la production de lait a plus que doublé. Le rendement des vaches s’est aussi grandement amélioré. « Les vaches produisent plus de lait lorsqu’elles sont confortables. C’est rentable, le bien-être des animaux! », lance Olivier, le producteur de 32 ans, entouré de vaches allongées sur de douillets matelas recouverts de paille. Et il semblerait que le confort des vaches soit aussi bon pour l’environnement.

Prévision à long terme

Par ce glacial matin d’hiver, les changements climatiques semblent une lointaine menace pour la localité d’Hébertville-Station, au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Tandis que le vent souffle dehors, les quatre copropriétaires de la ferme Maltais se réchauffent avec un café, en compagnie de la conseillère en agroenvironnement Martine Bergeron. Camil évoque les semailles – la période où on sème les graines – qui sont décalées de quelques semaines depuis qu’il a repris la ferme de son propre père, en 1985. « Il y a deux ans, il a neigé le 15 avril! », lance son frère Léon. Olivier renchérit : « Le printemps passé, il a mouillé pendant presque trois semaines. C’était l’enfer! Nos grains étaient gorgés d’eau. »

Martine est bien placée pour savoir comment les caprices de la météo affectent les entreprises agricoles. Cette agronome travaille pour le Groupe multiconseil agricole du Saguenay–Lac-Saint-Jean, une organisation qui regroupe 394 fermes. C’est elle qui a suggéré aux Maltais de participer à Agriclimat, un projet qui aide les fermes à lutter contre les changements climatiques. « Je travaille avec les Maltais depuis une vingtaine d’années. J’ai vu leur ferme évoluer », dit-elle. Il faut dire que Camil était membre du premier club d’agroenvironnement de la région, fondé en 1993. Quant à Pascale, elle a obtenu une certification en développement durable, en marge de son bac en agroéconomie à l’Université Laval.

C’est ainsi que les Maltais se sont joints à la première cohorte d’Agriclimat, en 2021 : une quarantaine de fermes-pilotes québécoises qui cherchent activement à améliorer leur bilan carbone et à mieux s’adapter au climat futur. Dès leur première rencontre avec Sylvestre Delmotte, consultant en agroenvironnement pour Agriclimat, ils ont eu un avant-goût de ce que les changements climatiques leur réservaient, grâce aux projections de l’organisme Ouranos. « Dès 2030, le Lac-Saint-Jean va passer de 5 à 15 jours à des températures de plus de 30 °C », résume Pascale. « Ah! Ça va faire du bien! », ricane son père, dont le froid hivernal a momentanément fait oublier la chaleur qui règne dans l’étable en pleine canicule.

Grâce à Agriclimat, les Maltais ont aussi pu calculer le bilan carbone annuel de leur ferme en tenant compte de paramètres comme l’énergie consommée, le nombre total de bêtes, leur alimentation, s’il s’agit d’aliments qu’ils cultivent ou achètent, en plus de leur gestion des champs et du fumier. Le verdict : l’équivalent de 4200 tonnes de CO2. Pour ce qui est uniquement de la production laitière, le résultat représente 1,18 kilo de CO2 par kilo de lait. « Ce n’est pas beaucoup! », observe Pascale, en se comparant à la moyenne mondiale qui est de 2,5 kilos de CO2 par kilo de lait. C’est aussi la preuve que la productivité de leurs vaches a un réel impact sur leurs émissions de GES.

Plus de confort, moins de GES

Selon Sylvestre Delmotte, la fermentation entérique – le processus digestif – représente de 40 % à 50 % des émissions de GES d’une ferme laitière. Lorsque les vaches digèrent, elles produisent du méthane, un gaz qui contribue au réchauffement de la planète. « Pour améliorer le bilan carbone d’une ferme, le bien-être des animaux est une piste importante », confirme-t-il. C’est un simple calcul mathématique : une vache qui se porte bien sera plus productive et aura une meilleure longévité. « Les Maltais ont déjà un niveau de productivité élevé, ils ont moins à faire que d’autres fermes, observe l’expert d’Agriclimat. Reste qu’il y a toujours place à l’amélioration. »

Comme toutes les fermes qui participent à Agriclimat, les Maltais ont pu établir des objectifs à court et à long termes, en fonction de leurs priorités. Par exemple, ils ont doté leur pouponnière d’une ventilation stable pour faire face aux variations de température plus fréquentes à cause des changements climatiques.

Des solutions concrètes

En faisant leur bilan carbone, les Maltais ont aussi eu quelques surprises. Par exemple, ils ont appris que leurs champs dégagent à eux seuls environ 1800 tonnes de CO2. Sylvestre leur a expliqué que ce phénomène était dû aux cultures annuelles, par exemple, de maïs, de soya ou de blé, qui, au fil des décennies, ont contribué à réduire la matière organique dans le sol et, par conséquent, sa capacité à séquestrer le CO2.

Pour tenter d’inverser la tendance, ils ont planté 176 arbustes, qui leur ont permis de déduire l’équivalent de 500 kg de CO2 à leur bilan. Ils auraient obtenu de meilleurs résultats avec des arbres, mais cette solution n’est pas forcément compatible avec leur culture. « Les plantes fourragères sont aussi des alliées pour ramener du carbone au sol », soutient Sylvestre. Les Maltais en cultivent déjà et pourraient en planter davantage, mais cela ne doit pas se faire au détriment des objectifs de l’étable. « C’est important de tenir compte des priorités des producteurs », insiste-t-il.

Grâce à Agriclimat, les Maltais ont aussi appris que leur fosse de fumier était une source importante de méthane et que de simples variables, comme le moment de la vider et les cultures sur lesquelles ils épandent le lisier, peuvent avoir une incidence sur leurs émissions de GES. Ils envisagent de remplacer leur citerne par un système d’épandage avec une rampe, plus léger, puisque la machinerie lourde contribue à la compaction du sol et risque de libérer le CO2 qui y est séquestré. « Dans les prochaines années, ces changements peuvent avoir plus d’impact qu’on pense, fait valoir Camil. Les rencontres avec Sylvestre nous permettent d’apprendre plein de choses et, lorsqu’on comprend, on peut poser des gestes concrets. »

Un laboratoire pour le climat

Le prochain objectif des Maltais : revoir l’alimentation de leurs vaches. Au cours des prochains mois, ils bénéficieront de l’aide d’une équipe d’agronomes et de nutritionnistes pour déterminer quelles plantes ont le meilleur apport énergétique et séquestrent le plus de CO2 dans leurs terres. « Produire du lait fourrager, c’est plus économique et, en utilisant moins de grains, on réduit aussi nos émissions de GES, », résume Camil. Les Maltais comptent également miser sur la nouvelle génétique des holsteins : des vaches plus petites qui mangent moins et produisent plus de lait.

On n’est pas les seuls à faire des efforts; toute l’industrie s’en va dans cette direction s’enthousiasme Olivier.

Dans la pouponnière de la ferme, des veaux sont emmitouflés dans un manteau pour ne pas qu’ils prennent froid. « Ils ont moins de 10 jours », indique Pascale. La productrice de 30 ans participe au webinaire Café Carbone, l’occasion pour les fermes-pilotes de partager leurs avancées pour réduire leurs émissions de GES.

Désormais, ses associés et elle ne se soucient plus que du bien-être et du rendement de leurs bêtes. « Pour chaque décision qu’on prend, on se questionne si c’est mieux pour notre bilan carbone. » Et c’est précisément l’objectif d’Agriclimat : qu’à la grandeur du Québec, les producteurs apprennent à poser de petits gestes qui, additionnés les uns aux autres, changeront réellement les choses pour l’environnement.

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